Septembre de la photographie, La région humaine, Des corps dans la ville, Lyon, 2006

Ensemble de 6 images
Tirages argentiques d’après négatifs
Image: 10,5 x 8 cm dans un format 20 x 15 cm
La série des Autoportraits en Pierrot de Carole Fékété s’inscrit dans une longue tradition où l’artiste moderne interroge sa propre identité. À la fois drôle et inquiétant, le Pierrot qui peut aussi s’apparenter à la figure du clown est la forme contemporaine du grotesque. L’exagération de la physionomie lui permet de mettre en jeu le statut de l’artiste. La question reste actuelle en ces termes : l’art doit-il se distinguer de la distraction ? Et par extension : quel rôle attribuons-nous à l’artiste aujourd’hui ? Personnage au sexe indéterminé, le Pierrot est aussi la figure du trouble, la confusion des genres qu’il instaure le rend plus universel. En investissant la figure métaphorique du Pierrot, Carole Fékété interroge les formes expressives des sentiments. Derrière un visage grimé — comme Nadar l’avait fait avec Debureau au XIXe siècle — les expressions annoncent un vocabulaire des passions où l’on passe indifféremment du rire aux larmes, de l’envie à la mélancolie. On se gardera d’oublier que la pantomime fut au XVIIIe siècle le modèle de la réforme du théâtre : pour sortir du primat de l’éloquence, la mimique des gestes et des expressions figées en un « tableau » permet d’énoncer les idées sans recourir au langage. Le théâtre moderne de Diderot et jusqu’à Bertold Brecht est ainsi fondé sur l’arrêt sur images dont la photographie est l’ultime procédure. En outre, les Autoportraits en Pierrot de Carole Fékété nous disent à quel point la photographie invite à se méfier d’elle-même : ce que nous voyons n’est jamais certain d’être réel, et plus encore, ce qui, dans un visage nous émeut le plus n’est certainement pas la vérité d’une émotion, mais le jeu de cette émotion. Diderot encore appelait cela le « paradoxe du comédien ». La leçon mérite notre attention, car la photographie n’a cessé de véhiculer pour le sens commun l’idée d’une réalité enregistrée sans intervention extérieure, alors que toute photographie procède, dans la culture de son auteur comme dans les contraintes techniques, de facteurs déterminants qui font d’elle une image construite. Le Pierrot de Carole Fékété participe donc aussi d’une démystification de la photographie.