Fondation Guerlain, La vie secrète des choses, Les Mesnul, 2004

Série de 4 images
Tirages argentiques d’après négatifs, 120 x 160 cm
Au cours d’un séjour à Moscou en 2000, Carole Fékété découvre les quatre chambres de la pension du théâtre Anatoli Vassiliev où elle réside. Elle est touchée par leur décor où le temps semble suspendu dans un passé indéterminé, à la fois distant et familier. Pour un spectateur occidental, le mobilier appartient à cette classe inférieure d’objets « de série » qui, d’après J. Baudrillard (Le système des objets, 1968), n’ont « qu’un temps en retard sur le présent », le temps de la généralité et de l’insignifiance, plus simulacres que réels. À la fois vestiges d’une Russie d’hier enfermée sur elle-même et objets de notre passé antérieur, ils nous troublent, comme le retour d’un refoulé qui se serait incarné ailleurs. Sous leur « exotisme », c’est la nostalgie qui nous atteint.
Carole Fékété montre toujours de la tendresse pour ses modèles. Elle les isole et les met à plat avec une netteté et une précision de scalpel, comme s’il s’agissait de les extraire du chaos général des choses et de leur construire un socle à leur mesure. Qu’elle choisisse la couleur ou le noir et blanc, un format miniature ou monumental, un cadre métallique ou de bois, c’est la mise en valeur du sujet et de sa singularité qui guide ses choix. Dans les chambres moscovites, elle accentue la planéité de l’image pour exploiter un effet de collage à la Matisse (très prisé des collectionneurs russes) ou à la Vuillard suggéré par la répétition des motifs floraux. La composition rigoureuse se concentre sur l’essentiel, le noir et blanc laisse place à l’imagination, le format nous retient au seuil du décor et le cadre d’aluminium fait écho à l’esthétique des années 1970. La justesse des choix plastiques confère à ces intérieurs une poésie et un raffinement qui donnent une nouvelle vie à ces objets déclassés.