Septembre de la photographie, Des corps dans la ville, La BF15, Lyon, 2006.
Carole Fékété a photographié une série de sept sujets retirés dans les jardins d’hiver du château de Versailles. L’ironie de cette imposante confrontation commence, justement, avec le sujet, ou l’objet de l’image, qui se refuse souverainement au regard. Il est d’usage que la photographie nous intime de regarder le monde, nous rappelle à l’autre et à l’artiste qui nous les révèle. L’image nous pose ici au contraire devant l’énigme d’un camouflage, et nous propose, semble-t-il, de prêter l’oreille au vacarme intérieur qui habite la conscience des muets ou des simples d’esprit. Les sujets, fichés en terre comme des pions d’échec démesurés, imposent leur immobilité. Autour d’eux, aucune anecdote, mais le tissage artificiel des feuillages hivernaux, retravaillés pour offrir aux statues un fond de tapisserie sobre et raffiné. Chaque sujet pose dans ce cadre choisi et destiné à le mettre en valeur, s’imaginant peut-être incarner la Beauté baudelairienne : « Je suis belle, ô, mortels, comme un rêve de pierre… ». Devant l’évidence dérisoire de la bâche rapiécée, tenue par des ficelles attachées à la va-vite pour l’empêcher de battre au vent, le rêve de pierre chute de son piédestal. On dirait bien, d’ailleurs, que certaines d’entre elles sont prêtes à vaciller. Leur air de défi tourne à la farce, c’est Versailles qui se néglige, avec ses comtesses de pacotille, qui, comme des actrices de boulevard, revêtent chaque saison le costume élimé de Madame ou de Lisette pour donner leur petite scène de théâtre. L’objectif semble les avoir surprises en plein jeu, dans des postures désinvoltes, jouant de leurs angles et de leurs rondeurs, exhibant les drapés de leurs parures, capables de braver toutes les intempéries.
La lumière n’est pas celle du théâtre. C’est celle, assez douce, du gris parisien. Celle d’un jour où revient la mélancolie et la très grande solitude. La parade passe, on s’interroge sur ces figures fatiguées de la station debout, attachées et asphyxiées, on se demande si lorsque l’une d’entre elles semble lever le bras, c’est par jeu, par défi ou dans un geste d’horreur. On pense à Faulkner, qui révéla un jour le bruit et la fureur d’une âme figée dans l’angoisse.
Carole Fékété propose à qui s’en laisse conter par ces colosses bâchés pour l’hiver une rencontre privilégiée avec la vie instable d’une humanité dont on aurait pu oublier, à trop vouloir nous la montrer, la délicate profondeur.
Vues de l’exposition, La BF15 :

Série de 7 images
Tirages lambda d’après négatifs, 240 x 120 cm

Série de 4 images, indivisibles
Tirages lambda d’après négatifs, 145 x 115 cm x 4